Le débat sur l’avenir européen du Royaume-Uni franchit une étape décisive, mardi 10 novembre. Le premier ministre britannique, David Cameron, officialise dans une lettre au président du Conseil européen, Donald Tusk, les exigences qu’il formule envers l’Union européenne (UE) pour mener campagne en faveur du maintien dans l’UE lors du référendum qu’il a promis d’organiser d’ici à la fin de 2017. Dans un discours prononcé le même jour à l’Institut royal des affaires internationales, le premier ministre assure qu’il fera campagne « de tout son cœur et de toute son âme » pour « garder la Grande-Bretagne au sein d’une Union européenne réformée », à condition qu’un maintien dans l’UE soit « sans la moindre ambiguïté dans notre intérêt national ».
La missive adressée à M. Tusk formalise les demandes de réforme de Londres sans remédier vraiment à ce qui agace ses partenaires européens depuis le début des pourparlers, cet été : l’absence de détails aussi bien sur le fond que sur les modalités juridiques de leur mise en œuvre. « Nous ne souhaitons pas être trop prescriptifs en début de discussion. Cette lettre ne constitue pas la fin du processus, mais son début », a précisé le ministre des affaires étrangères, Philip Hammond. En ouvrant une négociation incertaine, le gouvernement ne souhaite pas se lier les mains en affichant des exigences minutieuses qui seraient jugées insuffisantes par les eurosceptiques et mettraient en lumière ses éventuels échecs dans la négociation. Mais le ministre des affaires européennes, David Lidington, a indiqué qu’un accord dès le sommet européen des 17 et 18 décembre était espéré.
M. Cameron veut une Europe « où chacun peut mener sa vie », « un marché commun, pas un pays commun » et ses demandes s’ordonnent autour d’une idée – la « flexibilité » de l’UE. Elles s’articulent autour de quatre dossiers essentiels : la compétitivité, la protection des Etats hors zone euro, la souveraineté et l’immigration.
Le premier est d’intention « libérale » : il vise à « approfondir le marché unique » en l’élargissant aux secteurs du numérique et des services, à réduire la réglementation et à multiplier les accords commerciaux avec des pays comme les Etats-Unis, la Chine et le Japon.
Le deuxième veut protéger la City et la livre sterling contre la prééminence des pays de la zone euro. Il s’agit d’officialiser le fait que l’UE est une communauté « multidevise », d’interdire la « discrimination sur la base de la monnaie » et d’empêcher les Etats de la zone euro de forcer la main des autres.
En matière de souveraineté, les Britanniques souhaitent être exemptés de l’engagement de construire « une union toujours plus étroite ». Ils considèrent que cette clause du traité de Rome engage à marche forcée une intégration politique qu’ils refusent. M. Cameron réclame à ce sujet « non pas des paroles encourageantes, mais des changements juridiquement contraignants et irréversibles ». Londres souhaite aussi renforcer le système qui permet à plusieurs Parlements de pays membres de se grouper pour bloquer certaines décisions de l’UE.
Enfin, en matière d’immigration, les Britanniques veulent pouvoir priver pendant quatre ans les ressortissants des autres pays européens de certaines prestations sociales quand ils s’installent au Royaume-Uni. M. Cameron indique que 40 % des Européens arrivés depuis quatre ans perçoivent des allocations.
A la Commission européenne, on estime que cette dernière revendication est celle qui pose le plus de problèmes car elle introduirait une discrimination. Mais l’on planche sur des moyens juridiques de la contourner. Encore faut-il que les autres pays membres suivent. A commencer par les Polonais, que le Royaume-Uni a stigmatisés comme « profiteurs » de prestations. En revanche, les revendications sur la compétitivité sont accueillies de façon plutôt consensuelle, comme celles tendant à renforcer les droits des Parlements nationaux. « C’est dans l’air du temps, même si cela ne plaît pas trop au Parlement européen qui y perdrait une partie de son influence », selon un diplomate bruxellois.
La discussion autour de la zone euro promet d’être délicate. La Pologne pourrait se ranger dans le camp de Londres, comme d’autres pays qui redoutent d’être lésés par leur non-appartenance à cette zone. Quant aux Allemands, ils pourraient voir dans ce débat l’occasion d’accélérer les négociations en vue d’un renforcement de l’intégration des pays de la zone euro. Berlin n’est d’ailleurs pas hostile à ce que l’UE s’engage à renégocier les traités après 2017, année électorale aussi en Allemagne. Un tel engagement, conforme au vœu de Londres, pourrait être pris dès le Conseil européen des 17 et 18 décembre.
La France n’est pas fermée sur ce sujet, mais trouve le moment mal choisi : ce débat, qui implique de nouvelles pertes de souveraineté, s’ouvrirait en pleine campagne pour la présidentielle de 2017. « Les Français disent qu’ils veulent bien négocier mais pas avec un pistolet britannique sur la tempe », glisse un diplomate. Mêmes difficultés à prévoir concernant le sort de la clause sur une « Union toujours plus étroite » : certains pays n’y voient qu’un symbole, mais d’autres, comme la Belgique, sont très attachés à l’idée de fédéralisme.
Plus globalement, Bruxelles redoute que les demandes britanniques n’incitent chaque pays à présenter sa propre liste de revendications. Les négociateurs estiment que la discussion avec Londres arrive à un moment « horrible », en pleine crise sur les migrations, et risque d’alimenter les populismes. Selon un diplomate, « Marine Le Pen risque de s’emparer du sujet en reprochant au gouvernement de n’avoir pas réussi, lui, à infléchir le cours de l’Europe ».
Pourtant, s’il n’obtient pas satisfaction sur tous ces points, David Cameron, réputé favorable au maintien dans l’UE, menace d’appeler à voter pour la quitter et hausse le ton : si les partenaires européens « font la sourde oreille à [s]es demandes », il pourrait « réfléchir à nouveau » sur le maintien dans l’Union. D’ailleurs, a-t-il déclaré lundi, « je n’ai aucun attachement sentimental envers les institutions de l’UE ». A ses yeux, les seules questions qui valent sont : « Comment être plus influents dans le monde ? Comment gagner en prospérité (…) ? Comment créer des emplois ? Comment agir au mieux pour ce pays que nous aimons ? »
Soucieux de ménager les europhobes puissants au sein des tories, le premier ministre devait affirmer, mardi, que le Royaume-Uni peut « survivre hors de l’UE » car « c’est un grand pays et la cinquième économie du monde ». Mais, insiste-t-il aussi à l’adresse des europhiles, « la question européenne n’a pas seulement trait à la sécurité économique, mais aussi à sécurité nationale. Ce n’est pas juste une question d’emplois et de commerce, mais de sécurité et de sûreté de notre pays ». La campagne de ce référendum incertain a déjà commencé.